Cette édition du Club Ville hybride-Grand Paris est née d’une rencontre en mars 2011 en plein processus Grand Paris initié par Nicolas Sarkozy et mis en œuvre par Christian Blanc. Le contexte : la machine d’Etat avance comme un rouleau-compresseur, avec deux idées force : la création d’un super métro reliant les villes de banlieue et la spécialisation des territoires (incarnée par les Contrats de Développement Territorial).
Mais petite digression, début 2011, Patrick Bouchain me reçoit en tête-à-tête à son agence à Paris dans le IIIè ardt. Je l’ai écouté quelques jours plus tôt à Malaquais présenter la reconversion des anciens abattoirs de Calais en scène nationale : « d’un lieu de mort j’en ai fait un lieu de vie » me confie-t-il. Patrick Bouchain est une révélation. Moi-même sociologue des usages et de l’innovation, sa démarche me parle (à l’opposé le formalisme architectural ne signifie pas grand chose pour moi). Il me présente à Julien Beller, Nicolas Cesbron, Annie Sellem…et Monte Laster.
C’est dans ce contexte que je rencontre Monte Laster en mars 2011 : un contexte où se mêle l’émergence du Grand Paris porté par un Etat « puissant » et la rencontre avec Patrick Bouchain qui conçoit des « petits » projets à partir des usages, des habitants. Ma vision du Grand Paris va s’en trouver renforcée : comment le Grand Paris peut-il réussir sans une articulation entre les différentes échelles, les différents lieux, les différents réseaux d’acteurs ?
Parallèlement, je contacte Bjarke Ingels qui est le jeune architecte en vogue, pour qu’il vienne présenter ses projets lors de cette première édition du Club Ville Hybride-Grand Paris (autant frapper un grand coup… et ça marche !). Il me faut un lieu. J’approche Paris-Malaquais qui est d’accord pour lui donner l’écrin pour présenter ses travaux. Juste avant de nous rendre à Malaquais, je promène Bjarke Ingels à l’arrière de mon scooter, pour lui montrer les dernières réalisations parisiennes dans le périmètre d’opérations de « Paris Rive Gauche ». Seul Bjarke Ingels pourrait attester de cette balade surréaliste :))) Posez-lui la question ! Je crois que lui-même ne s’en est toujours pas remis :)))
Mais petit retour en arrière. Il y a des personnes qui vous marquent plus que d’autres. Monte Laster en fait partie. Je le vois pour la première fois en mars 2011 alors qu’il est en train de donner des cours d’anglais à des enfants d’une école primaire à La Courneuve. L’école est située au pied de la cité Balzac qui est en cours de destruction. Monte Laster leur a demandé ce qu’ils en pensaient ; les gamins lui répondent qu’ils ont l’impression d’être dans un film de guerre quand les ouvriers projètent par les fenêtres le contenu des appartements.
Nous nous rendons ensuite dans son moulin pour y déjeuner. Le Moulin Fayvon date du XIVè siècle. Monte Laster, artiste américain en provenance du quartier des Ternes à Paris, s’y est installé en 1994 alors que le moulin est abandonné. C’est un moulin à eau sur l’ancien lie artificiel du Croult (construit au moyen-âge par la commune de Saint-Denis).
Monte Laster est à la tête d’une association, FACE, et partage son existence entre le quartier d’Harlem à New York, Fort Worth (il a contribué à la réalisation des décors de la série TV « Dallas » dont les scènes intérieures sont tournées à Hollywood) et La Courneuve. Il a des liens très étroits avec the last poets. Il accompagne de jeunes artistes, des rappeurs des deux pays dans leurs projets artistiques. Début 2010, il emmène dix jeunes de La Courneuve rencontrer Barack Obama à la Maison Blanche.Il met en relation Abiodun Oyewole, légende vivante du hip hop de 70 ans, avec de jeunes rappeurs de La Courneuve.
Monte Laster crée également des manifestations artistiques et culturelles qui ont pour fil conducteur de mettre en relation des personnes issues d’horizons très différents. Et ce sont ces rencontres incongrues a priori qui créent la richesse de ses projets. C’est par exemple ‘traces urbaines’ dont l’idée est de tracer d’une ligne blanche le cours du Croult par le technicien chargé de l’entretien du terrain de foot américain (l’équipe de La Courneuve domine le championnat depuis plusieurs années). Ou encore ‘lieu-non-lieu’ qui consiste à redonner une âme à des lieux qui en manquaient cruellement (par des étudiants de l’ESA).
Voilà ! Tous les éléments de ce puzzle un peu confus sont rassemblés. Cette première session Ville Hybride peut se dérouler.
Photos © Ville Hybride